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LE 150 ème ANNIVERSAIRE DES MISERABLES BIEN MARQUE PAR LA VANAUDE AVEC L’INTERVENTION d’Antranig BOUGHOURLIAN et LA PROJECTION d’une VERSION SURPRENANTE MAIS FIDELE REALISEE EN 1972 POUR LA TELEVISION

Une belle chambrée d’auditeurs s’est véritablement régalée, comme la veille les élèves de l’école publique R.AUBRAC et ceux de l’école privée St JOSEPH

Première soirée de La Vanaude originale, d’abord parce qu’elle n’était pas un vendredi mais un samedi et surtout parce qu’elle contenait une conférence sur l’oeuvre majeure de Victor HUGO, les Misérables, suivie de la projection d’une excellente version filmée réalisée en 1972 par Marcel BLUWAL.

La singularité de cette réalisation, qui opéra par "retour en arrière", pour ne pas écrire en "flash back", surprit fort agréablement, le public.

Un verre de l’amitié dînatoire a permis d’offrir un entracte convivial aux participants.
Ci-dessous, vous pourrez prendre connaissance de l’intervention experte d’Antranig, qui elle aussi, séduit les auditeurs.

A noter que la veille Antranig a rencontré les cycles III de l’école publique Raymond Aubrac et ceux de l’école privée St Joseph. Les scolaires n’ont pas vu l’heure et demie à écouter parler de Hugo et bien sûr à poser des questions pour mieux le connaître.

Cela eût plu   au grand homme fervent défenseur de l’éducation...

A l’école Raymond Aubrac
Avec les élèves de St Joseph à l’expo de l’annexe municipale
Antranig BOUGHOURLIAN
Roger, un fervent admirateur de Hugo est venu avec Jean

Intervention d’Antranig BOUGHOURLIAN :

LES MISERABLES

Je me souviens, que le 21 mai 1985, la veille du centenaire de la mort de Victor HUGO, avec quelques amis et Robert BADINTER, alors ministre de la justice, tous très grands admirateurs du poète, nous avions cherché le geste symbolique qui permettrait de mieux honorer celui qui, toute sa vie, a défendu la liberté et la justice sociale.
Nous avons choisi d’aller du côté des Halles à Paris déposer quelques fleurs à Victor HUGO et à GAVROCHE, au lieu où l’auteur des Misérables a situé la mort de ce gamin devant les barricades, pour montrer que le héros imaginaire, jailli du pouvoir créateur de HUGO, incarne, en définitive, pour la sensibilité populaire, donc pour nous tous, notre caractère mieux peut être que bien des héros vivants ou ayant réellement vécu.
« Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée, tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autre termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »
Victor HUGO, Hauteville House 1862

Le succès de librairie est immédiat, on s’arrache le livre, le premier tirage à 48 OOO exemplaires est vendu en quelques jours. Les éditions se succèdent. Cependant, si le peuple ne se trompe pas en se procurant massivement cette oeuvre, si les ouvriers se cotisent pour s’acheter le livre, et, lecture collective faite, ils tirent au sort celui qui gardera le précieux ouvrage…
Dès sa sortie, Les Misérables sont traduits en anglais, en allemand, en russe, en espagnol et en italien.
La bourgeoisie, elle aussi, ne se trompe pas, la critique est sévère.
Barbey d’Aurevilly écrit :
« Enfin, si HUGO prostitue son talent en flattant la foule avec des œuvres comme les Misérables, il constitue aussi un danger réel pour les institutions par ses rêveries démocratiques. »

Charles Baudelaire, dans une lettre à sa mère, indique qu’il a loué l’œuvre parce qu’il n’osait pas s’opposer à HUGO, mais :

« HUGO se soumet, non au culte de la poésie pure, mais à l’hérésie moderne de l’enseignement par la poésie didactique, qui, atteint sa quintessence dans les Misérables, ce livre est immonde et inepte. J’ai montré à ce sujet, que je possédais l’art de mentir. Il m’a écrit pour me remercier, une lettre absolument ridicule. Ce qui prouve qu’un grand homme peut être un sot. »

Alphonse de Lamartine, quant à lui, dans ses : Considérations sur un chef d’œuvre ou le danger du génie, condamne les Misérables, avec :
«  Ses impuretés de langue, son cynisme de la démagogie, ses saletés de goût, et surtout une fureur du socialisme égalitaire. En résumé, les Misérables sont un sublime talent, une honnête intention et un livre très dangereux de deux manières : Non seulement parce que il fait trop craindre aux heureux, mais parce qu’il fait trop espérer aux malheureux. »
HUGO, notera à la suite de cette critique :
« Je n’ai lu qu’aujourd’hui le travail de Lamartine sur les Misérables. Cela pourrait s’appeler : Essai de morsure par un cygne. »
Enfin, quelques années plus tard, la mère de Rimbaud écrit au professeur Izambard :
« Il est une chose que je ne saurais approuver, par exemple la lecture du livre comme celui que vous lui avez donné il y a quelques jours, les Misérables de V. Hugo.
Vous devez savoir, mieux que moi, qu’il faut beaucoup de soin dans le choix des livres qu’on veut mettre sous les yeux des enfants. Aussi, j’ai pensé qu’Arthur s’est procuré celui-ci à votre insu, il serait dangereux de lui permettre de pareilles lectures.

Madame Rimbaud
Le 4 mai 1870 »

Essayons d’être plus objectifs, il est important de montrer que ce livre a attiré l’œil du Ministère de l’intérieur, plus précisément le service de la Surveillance de l’Imprimerie, de la Librairie et de la Presse. Le commissaire Claye écrit au Ministre :
« Monsieur le Ministre,
Il y a quatre mois que la curiosité publique a été appelée et vivement intéressée par les Misérables, ouvrage de Victor Hugo, acquis par Lacroix, libraire de Bruxelles.
Les principes de cette œuvre socialiste sont empruntés aux doctrines les plus antisociales, en ce qui touche le fonds. Quant à la forme, elle passe du sublime au trivial le plus caractérisé…
. »

L’autre face du pouvoir, c’est l’Eglise, celle-ci a-t-elle mieux accueilli les Misérables ?

A sa sortie le roman d’Hugo soulève évidemment des tempêtes, le chapitre où l’évêque s’agenouille pour demander la bénédiction d’un "terroriste", l’un de ceux qui ont voté la fin de la monarchie y est bien sur pour quelque chose... A tel point que le livre sera mis à l’Index durant cent ans !
Une mise à l’Index d’un livre avait pour conséquence une interdiction de lecture pour les catholiques. En général, les livres étaient mis à l’Index lorsqu’ils étaient jugés pernicieux ou immoraux.
L’archevêque de Paris, Monseigneur de Ségur, scandalisé par Les Misérables qualifie l’ouvrage "d’infâme livre".
Ce à quoi Hugo répondit :
"Il y a dans les Misérables un évêque bon, sincère, humble, fraternel, qui a de l’esprit en même temps que de la douceur, et qui mêle à sa bénédiction toutes les vertus ; c’est pourquoi Les Misérables sont un livre infâme.
D’où il faut conclure que Les Misérables seraient un livre admirable si l’évêque était un homme d’imposture et de haine, un insulteur, un plat et grossier écrivain, un idiot vénéneux, un vil scribe de la plus basse espèce, un colporteur de calomnies de police, un menteur crossé et mitré.
Ce second évêque serait-il plus vrai que le premier ? Cette question vous regarde, monsieur. Vous vous connaissez en évêques mieux que moi"
(Lettre du 17 décembre 1872).

Mais qu’en disait l’auteur lui même. Il est intéressant d’avoir son point de vue. En octobre 1862, il répond à son éditeur italien, Monsieur Daelli, de Milan, qui lui faisait remarquer que ses compatriotes ne se sentiraient pas forcément concernés par la dénonciation sociale et politique des Misérables. Voici donc, une partie de la réponse de HUGO :
« … Les problèmes sociaux dépassent les frontières. Les plaies du genre humain, ces larges plaies qui couvrent le globe, ne s’arrêtent point aux lignes bleues ou rouges tracées sur la mappemonde.
Partout où l’homme ignore et désespère, partout où la femme se vend pour du pain, partout où l’enfant souffre faute d’un livre qui l’enseigne et d’un foyer qui le réchauffe, le livre
« Les Misérables » frappe à la porte et dit :
Ouvrez-moi, je viens pour vous !
A l’heure, si sombre encore, de la civilisation où nous sommes, le misérable s’appelle l’homme ; il agonise sous tous les climats, et il gémit dans toutes les langues…
La question sociale est la même pour vous comme pour nous. On meurt un peu moins de faim chez vous, et un peu plus de fièvre ; les ténèbres sont protestantes en Angleterre, catholiques en Italie. Où est votre armée de maîtres d’école, la seule armée qu’avoue la civilisation ? Où sont vos écoles gratuites et obligatoires ?
Tout le monde sait il lire dans la patrie de Dante et de
Michel Ange ? N’avez vous pas, comme nous, un budget de la guerre opulent et un budget de l’enseignement dérisoire ? Depuis que l’histoire écrit et la philosophie médite, la misère est le vêtement du genre humain ; le moment serait enfin venu d’arracher cette guenille, et de remplacer sur les membres nus de l’homme-peuple, la loque sinistre du passé par la grande robe pourpre de l’aurore. »

On pourrait continuer les citations à l’infini, le constat serait le même. Nous pouvons dire alors que plus qu’aucun homme public de son siècle, HUGO a été le champion et le héros d’une autre justice, au sens social et judiciaire du terme, plus humaine, plus fraternelle que celle de son temps. C’est ce message adressé à la conscience humaine, éclairant, inspirant sa vie et son œuvre, qui leur donne cette force et cette unité incomparables.

Le jour de la parution de la deuxième partie des Misérables, le 15 mai 1862, dès six heures du matin, constate un rapport de police, la foule des libraires, livreurs, lecteurs… fut telle devant la boutique de l’éditeur Pagnerre, que l’on frôla l’émeute. Cabriolets, carrioles et même des brouettes créèrent un embouteillage monstre pendant une demi-journée !
Virgin-mégastore n’a pas innové.
Alors, me direz vous, si HUGO, depuis cent cinquante ans ne cesse de nous indiquer la voie vers une société plus humaine, qui sont les Misérables aujourd’hui pouvant se reconnaître dans ce livre fleuve ? Aujourd’hui, les inégalités se sont atténuées depuis l’époque de l’incomparable écrivain, mais, en Grèce, en Espagne et même chez nous, n’avons nous pas cette misère qui est insupportable pour ceux qui en souffrent, je ne parle que de l’Europe, ailleurs, dans le monde, des situations bien plus dramatiques rendent ce livre encore et toujours, malheureusement actuel ! Rares sont les écrivains qui arrivent, comme Victor HUGO, à exprimer avec autant de force les mutations et les douleurs d’un peuple. Toute la puissance du texte jaillit parce qu’il touche à l’universel. Cette œuvre n’est pas seulement notre héritage national, il entre en résonnance avec ce que sont les peuples du monde entier.
Mais, qui est exactement, HUGO, quel a été son cheminement, son engagement ?
Monarchiste, bonapartiste, libéral, républicain, socialiste, il passe, fait rare en politique, de la droite à la gauche. Mais si, le plus souvent les écrivains accomplissent ces engagements décisifs tardivement, alors que leur œuvre est presque achevée et leur gloire acquise. Ainsi Voltaire, déjà sexagénaire lorsqu’il prend conscience de l’injustice de la justice et reprend l’affaire Calas, c’est aussi le cas pour Zola, qui connaît le succès et les honneurs lorsqu’il écrit : « j’accuse » et reprend l’affaire Dreyfus. Plus près de nous, Sartre, lorsqu’il milite contre la torture en Algérie. Comme s’il fallait un long cheminement de l’intelligence et de la sensibilité pour qu’enfin s’élève ce cri :
« Cette injustice, judiciaire, sociale je ne l’accepte pas ! »
HUGO découvre la question sociale par la question pénale. Il se dresse contre la misère parce qu’il s’est dressé contre l’échafaud ! Le refus de l’injustice individuelle, comme la condamnation de Jean Valjean à cinq ans de bagne pour avoir volé un pain, à dénoncer et refuser l’injustice collective.
Ne croyez pas que Jean Valjean n’ait été qu’un personnage romanesque, l’original du pauvre homme a réellement existé. Il s’appelait Pierre Maurin et fut condamné en 1801 à cinq ans de bagne pour vol d’un pain. Ce pain, il l’avait volé pour nourrir les 7 enfants de sa sœur !
Cette question pénitentiaire, toujours posée, jamais résolue, obsède le législateur qu’a été HUGO. Il visite la Conciergerie et la prison de la Roquette à Paris, accumule les notes et rédige un rapport pour la Chambre des pairs sur la réforme pénale. La révolution de 1848 l’empêche de le prononcer.
Au moins, nous connaissons sa pensée politique sur le système pénal.
D’abord une constatation, HUGO n’est pas, permettez moi ce néologisme, laxiste, il est lucide. La suppression des peines, la disparition de la prison, il n’y croit pas. Mais, si le châtiment doit conserver sa force d’exemple, il ne doit jamais dégrader ni désespérer le condamné, anéantir ce qui constitue le levain de la peine :
La capacité pour tout homme de mesurer ses torts, de se ressaisir, de se réinsérer. Ainsi, il refuse toute peine qui, comme la peine de mort bien sûr, est irrévocable ou comme il le dit : « irréparable ». Les peines perpétuelles, qu’il s’agisse du bagne ou de l’infamie, mort sociale qui stigmatise le forçat après sa libération. HUGO les dénonce parce qu’il est un droit
« Qu’aucune loi ne peut entamer, aucune sentence ne peut retrancher, le droit de devenir meilleur.
C’est au nom de ce droit qu’on ne peut refuser, sans nier la civilisation, l’humanité même. » Qu’il dénonce en 1847, le régime pénitentiaire régnant en France :
« Représentez-vous un moment ce que sont ces prisons dont je parle. Là, chaque spécialité a ses professeurs qui font des cours de crime supérieur, qui expliquent les maîtres et les modèles, qui enseignent aux petits coupables le respect et l’admiration des grands criminels. Là chaque misérable trouve un guide pour le mener plus avant… Ce sont ces maisons là qui font la criminalité que vous avez… »
Cette métamorphose carcérale qui transforme le délinquant en criminel, HUGO l’incarne en Friauche, (dans le dernier jour d’un condamné) orphelin à six ans, voleur à neuf ans, bagnard à dix-huit ans, libéré à trente cinq ans, incapable de trouver du travail à cause du « livret jaune ». Récidiviste, repris, condamné à perpétuité, évadé, assassin, il ne lui reste plus qu’à monter « le dernier barreau de l’échelle » : Celui qui mène à l’échafaud. C’est aussi Claude Gueux, que le système pénitentiaire et la persécution perverse d’un gardien, son chef d’atelier, conduisent au meurtre ; et qui sera exécuté. C’est enfin Jean Valjean, qui, condamné à cinq ans de bagne pour vol d’un pain, en fera dix-neuf pour ses multiples tentatives d’évasion.

« Quand vint l’heure de la sortie du bagne, quand Jean Valjean entendit à son oreille ce mot étrange : tu es libre ! le moment fut invraisemblable et inouï, un rayon de vive lumière, un rayon de la vraie lumière des vivants pénétra subitement en lui. Mais ce rayon ne tarda pas à pâlir. Jean Valjean avait été ébloui de l’idée de la liberté. Il avait cru à une vie nouvelle. Il vit bien vite ce que c’était qu’une liberté à laquelle on donne un passeport jaune. (…) Libération n’est pas délivrance. On sort du bagne, mais non de la condamnation. »

C’est la rencontre avec Monseigneur Myriel, sa bonté et sa générosité, qui sauvera Jean Valjean perdu par la justice.
HUGO, ne se fait pas d’illusion. Il savait que certains s’enracinent dans le crime et y demeurent attachés, malgré de telles rencontres, comme les Thénardier, qui acceptant une forte somme de Marius, deviennent négriers aux Etats Unis, ou comme Montparnasse, auquel Jean Valjean, qu’il a voulu assassiner, donne sa bourse.
C’est là, toute l’ambigüité du titre « Les Misérables », car il désigne à la fois les plus indignes, mais aussi les plus malheureux des hommes. Dualité qui se rejoint en certains êtres humains et qui nous interdit de les condamner tous irrévocablement.
Dans « Le dernier jour d’un condamné », publié en 1829, HUGO, préfigure la rencontre de Cosette avec la cadène.
«  On fit asseoir les galériens dans la boue, sur les pavés inondés ; on leur essaya les colliers ; puis deux forgerons de la chiourme, armés d’enclumes portatives, les leur rivèrent à froid à grands coups de masse de fer. C’est un moment affreux, où les plus hardis palissent. Chaque coup de marteau, asséné sur l’enclume appuyée à leur dos, fait rebondir le menton du patient ; le moindre mouvement d’avant en arrière lui ferait sauter le crâne comme une coquille de noix. Après cette opération, ils devinrent sombres."
Quarante ans plus tard, cette image hantait toujours HUGO et dans le parcours de Cosette vers le bonheur, il y a une halte, lorsqu’un matin, avec celui qu’elle appelle père, ils vont voir le soleil se lever.
« Ils faisaient quelques fois cette partie de plaisir, genre de joie douce qui convient à ceux qui entrent dans la vie et à ceux qui en sortent. »
A ce moment la cadène passe, sorte de pilori ambulant, allant de Paris au bagne de Toulon ; voyage horrible, sous la pluie, sous le soleil, sous le vent, avec un déversement de coups de bâton et qui durait de vingt à trente jours !
« Toutes les détresses étaient dans ce cortège comme un chaos ; il y avaient des vieillards, des adolescents, des crânes nus, des barbes grises, des monstruosités cyniques, des résignations hargneuses, des rictus sauvages, des visages enfantins, et, à cause de cela, horribles, des maigres faces de squelettes auxquelles il ne manquait plus que la mort…
Cosette, épouvantée, ne comprenait pas ; le souffle lui manquait ; ce qu’elle voyait ne lui semblait pas possible ; enfin, elle s’écria :
-Père, est-ce que ce sont des hommes ?
-  Quelque fois, dit le misérable.
 »
Toute la monstruosité du bagne tient dans cette question et cette réponse ; est-ce que l’on peut rester humain, lorsque la société vous écrase à ce point ?
C’est probablement pour cela que HUGO a voulu leur donner cet espoir et faire de l’ancien forçat, Jean Valjean, le plus humain de tous ses personnages !
C’est aussi pour cela et pour dénoncer ce scandale du bagne, qu’HUGO, en mai 1848, élu à l’Assemblée Constituante lançait cette provocation sublime, et, qui fera ricaner les bien-pensants :
«  J’aurais voulu que l’on eût fait voter les bagnes et être le candidat choisi par les galériens ! »
Admirable continuité de la pensée et de la lutte… Ce livre fleuve, traduit dans des dizaines de langues, porté à l’écran quarante fois, transformé en pièce de théâtre, en comédie musicale, ce livre que des dizaines et des dizaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont lu ; ceux de l’hémisphère Nord comme ceux de l’hémisphère Sud, ce livre dont on peut dire que le Soleil ne se couche jamais sur ses pages est plus complexe que l’imagerie d’Epinal que d’aucuns ont voulu consciemment ou non voir.
Que sont donc les Misérables, sont-ils le livre de la rédemption avec la rencontre du forçat et de Monseigneur Myriel. Le catholicisme social de Lamennais est-il le fil conducteur du livre et de la pensée hugolienne ?
Certainement pas, souvenez-vous que Jean Valjean, après avoir été reçu avec honneur et dignité par l’ecclésiastique, le vole. N’oublions pas également deux autres passages où Monseigneur Myriel est confronté à la mort, lorsqu’il remplace l’aumônier des prisons pour accompagner un condamné à l’échafaud. Revenu chez lui, il ne put ni manger ni dormir, sa sœur dit qu’après cela il ne fut plus jamais le même. La deuxième rencontre se fait avec un mourant pour lequel aucun prêtre ne veut apporter les secours de l’Eglise, il s’agit du conventionnel qui a voté la fin de la monarchie, mais pas la mort de Louis XVI. Monseigneur Myriel se rend donc au chevet de cet homme et juge de son devoir de l’écouter. A la fin de la journée, lorsque celui ci va mourir, l’évêque s’agenouille et demande la bénédiction du conventionnel, rappelez-vous que cela valu au livre cent ans de mise à l’Index !
Que pensez vous qui arriva lorsque ce saint homme mourut à son tour, son corbillard ne fut suivit de personne. Echec donc de la bonté, de la générosité sociales telle que le pensait Lamennais ne fonctionne pas.
En est-il autrement en ce qui concerne l’œuvre du bon Monsieur Madeleine, bon patron, bienfaiteur de sa ville dont il devient le maire. Réussira-t-il, là où la religion a échoué ?
Non, Fantine se fait mettre à la porte de l’usine parce qu’elle est « mère célibataire ». Sa déchéance s’accélère, sans ressources, ayant des dettes vis à vis des Thénardier chez qui Cosette est en pension. Elle doit vendre ses cheveux, ses dents puis sera obligée de se prostituer. Le paternalisme patronal ne fonctionne pas non plus. Gavroche, lui va mourir en voulant approvisionner les insurgés en cartouches. A-t-il mieux réussi ? Lui qui tombe sous les balles des soldats ? Jean Valjean lui aussi va d’échec en échec, depuis sa condamnation à cinq ans de bagne, il en fera dix-neuf. Il sauve certes Cosette des Thénardier, mais le seul être qu’il aime, il va la donner en mariage à Marius, puis peu à peu se sent obligé de quitter le jeune couple et va en mourir. Vous me direz qu’à ses derniers moments Cosette et Marius sont là, à ses côtés. Le livre ne s’arrête pas sur cette image presque idyllique. Un dernier chapitre, nous sommes devant sa tombe :
« Il y a, au cimetière du Père Lachaise, aux environs de la fosse commune, dans un angle désert, une pierre, elle n’est voisine d’aucun sentier, on n’aime pas aller de ce côté là. Cette pierre est toute nue. On n’y lit aucun nom. »
Quoi, cet homme qui a souffert ce qu’aucun n’aurait enduré, cet homme dont la bonté, la générosité, la volonté de faire le bien n’ont pas de limites disparaît sans laisser aucune trace, comme avalé par le brouillard.
Je reviens un instant sur Gavroche, il meurt en se référant aux philosophes des lumières, en cela, il transcende la mort. Gavroche tué porte en lui Germinal, il devient le ferment des luttes à venir, il est, permettez moi de reprendre l’image de HUGO, « le pourpre de l’aurore »
Tolstoï, Dostoïevski et tant d’autres écrivains sont les fils de Hugo.

Alors, et c’est là qu’intervient le génie de HUGO, ce livre de l’échec devient celui de l’espoir universel, il rejoint les grands mythes qui nous touchent tous.
Ne considérez pas cette œuvre gigantesque du point de vue de la justesse des opinions que l’auteur défend, il ne s’agit pas d’un discours politique, c’est plutôt une expression admirable de l’angoisse générée par la société qui brise tous les faibles, tous ceux qui ont fait un faux pas. HUGO, dans les Misérables remplit bien mieux que tous les autres la fonction de phare qui, selon lui, doit être celle de l’artiste dans la société.

Pour rendre à Victor HUGO l’hommage le plus significatif, j’aurai voulu découvrir une lettre émanant d’un groupe d’ouvriers reconnaissants français, grecs, espagnols ou maghrébins après avoir lu les Misérables, il en existe à coup sûr ; je n’en n’ai pas en ma possession.
Pour témoigner de la continuité de la lutte de ceux qui se lèvent, un siècle après l’autre, pour soutenir la cause d’une justice plus humaine et d’une société plus juste, j’ai pensé répéter tout simplement ce que le poète déclara lors du centième anniversaire de la mort de Voltaire :
«  Il y a cent ans, mourait un homme. Il mourait immortel. Il s’en allait chargé d’années, chargé d’œuvres, chargé de la plus illustre et de la plus redoutable des responsabilités. La responsabilité de la conscience humaine avertie et rectifiée. Il s’en allait béni et maudit, maudit par le passé, béni par l’avenir et, ce sont là, les deux formes superbes de la gloire. Il avait d’un côté l’acclamation des contemporains et de la postérité et de l’autre le triomphe des huées et de haine que l’implacable passé fait à ceux qui l’on combattue.
Il était plus qu’un homme, il était un siècle
 »
Le HUGO des Misérables fait partie de ces génies qui, par delà le temps, par delà les frontières et les langues a exercé une fonction et rempli une mission, celle de montrer à tous que l’aube peut exister.

Pour tout cela
Merci Victor HUGO


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